Qu’est-ce que le Qi ?
« L’intervalle Ciel Terre
Est comme le soufflet
Il se vide sans se lasser
Actionné il veut souffler encore. »
(Dao De Jing, chapitre 5)
Le Qi c’est le Souffle, l’Energie.
Ce qu’on appelle le Qi, ou Souffle, est indissociable de la Tradition Chinoise. Le Qi (prononcer Tchi) est l’agent invisible, et pourtant palpable, qui préside à toutes les transformations.
« La notion centrale de la physique chinoise, toutes tendances confondues, est celle de qi, « souffle vital ». Substrat commun à toute forme d’existence, présent à l’état indifférencié à l’origine du monde, il s’actualise selon une progression qui va des étendues célestes aux flux saisonniers pour pénétrer par imprégnation l’ensemble des êtres animés et inanimés. Il est aussi le lien subtil qui en assure l’unité et la cohésion au sein d’une nature perçue comme un corps vivant. Cette symbiotique à portée universelle, cette doctrine du « vivre ensemble » appliquée au cosmos dans son entier, suppose une solidarité réciproque entre toutes ses parties. » (Marc Kalinowski, La Voie du Tao, Musée Guimet, 2010, p. 86)
Exprimé d’une autre manière :
« Le Qi est la substance matérielle primordiale ou, tout simplement, l’essence qui, par l’impulsion de son énergie, permet aux « choses » animées ou inanimées (shi wu) et aux organismes vivants du monde d’exister et de se développer sous les formes dans lesquelles ils se matérialisent. Tout corps organique ne vit que par l’accumulation, la concentration ou la densification du Qi. Dès que le Qi s’affaiblit et, perdant sa concentration, se dissipe, se disperse et disparaît, les corps organiques qu’il anime dépérissent et meurent. » ( Hiria Ottino, Dictionnaire de médecine chinoise, Larousse, 2001, p.159)
Le Qi s’écoule librement, impersonnellement, à travers l’univers manifesté, tissant des réseaux complexes qui lui permettent de préciser son action.
Chez l’être humain, il parcourt ainsi la surface du corps, puis pénètre en profondeur, dessinant des lignes de force qui relient entre elles chaque partie de notre anatomie tout en faisant le lien entre le corps physique et le psychisme.
« A la fois esprit et matière, le souffle assure la cohérence organique de l’ordre des vivants à tous les niveaux. En tant qu’influx vital, il est en constante circulation entre sa source indéterminée et la multiplicité infinie de ses formes manifestées. L’homme en est non seulement animé dans tous ses aspects, il y puise ses critères de valeur, qu’ils soient d’ordre moral ou artistique. Source de l’énergie morale, le qi, loin de représenter une notion abstraite, est ressenti jusqu’au plus profond d’un être et de sa chair. » (Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, éditions du Seuil, 1997, p. 36)
Lorsque le flux de l’Energie est bloqué par un traumatisme physique ou émotionnel, lorsqu’il ne s’écoule plus harmonieusement, des déséquilibres s’installent. C’est alors que l’intervention d’un thérapeute énergéticien s’avère nécessaire. Le praticien va chercher les origines du blocage et, à l’aide de ses outils, réharmoniser la trame énergétique.
En effet, le long de ces lignes de force qui parcourent le corps se trouve une multitude de creux, les points d’acupuncture, qui permettent (à l’aide des aiguilles) une action directe sur l’Energie soit en la fluidifiant si elle est bloquée, soit en la canalisant harmonieusement à travers le réseau des méridiens. L’usage de l’aiguille permet une grande précision, celle-ci agissant à la manière d’un potentiomètre permettant d’augmenter ou de diminuer le Qi dans un méridien, un organe ou un lieu du corps. Annick Bigler apporte une précision intéressante dans son ouvrage La pratique de l’acupuncture en obstétrique (La Tisserande, 1992, p. 200):
« Il semble parfois que certains points, une fois stimulés, développent une action selon leur nature propre. C’est un peu comme si leur puncture correspondait à l’ouverture d’une vanne permettant alors au courant de passer dans les deux sens en fonction de l’état des « réservoirs » mis en communication par cette vanne. Ce système de vases communiquants ne permet pas toujours de prévoir dans quel sens vont se développer les actions du point traité. Il est donc indispensable d’avoir une sorte de respect du point, et ne pas s’imaginer qu’on peut en faire n’importe quoi. »
La compréhension vécue de ce qu’est le Qi, qui n’est pas un concept, est fondamentale dans la pratique de l’Acupuncture Traditionnelle et la distingue de la vision occidentale qui considère le corps comme un simple objet. Citons Jeremy Ross (Associations de points, Satas, 2000, p.7) :
« Le corps énergétique de l’homme, appelé parfois corps éthérique, imprègne et entoure le corps physique solide. Il est constitué par la somme des champs d’énergie de chaque cellule, tissu et organe qui fonctionnent de concert. Il reflète l’activité du corps physique, des pensées et des émotions.
En acupuncture, les points et les méridiens peuvent être vus comme l’interface entre le corps physique et le corps énergétique car ils possèdent des aspects de chacun d’entre eux. »
L’idée évoquée ici n’est pas que nous possédons un corps énergétique à l’intérieur du corps physique mais que c’est ce dernier qui est inclus dans quelque chose de plus vaste que nous pouvons appeler le corps énergétique. La mystique soufie Irina Tweedie, dans son livre The Chasm of Fire (1979, p. 68), décrit une expérience qui éclaire le système des méridiens et des points d’acupuncture :
« Le pouvoir à l’œuvre dans mon corps ne faiblit pas de toute la nuit et je ne pus dormir. Je réalisais quelque chose de complètement nouveau. Mon sang devenait lumineux et je l’observais circuler à travers mon corps. Je compris rapidement qu’il ne s’agissait pas du sang ; une lumière, une lumière bleue claire circulait à travers un autre système… La lumière sortait du corps et le pénétrait de nouveau en différent points. En observant attentivement je vis une myriade de points de lumière, comme une toile lumineuse enveloppant le corps à l’intérieur et à l’extérieur. C’était très beau. Le squelette n’existait pas; le corps était conçu par la toile de lumière. »
On commence à mieux saisir en quoi consiste la vraie acupuncture. De même que, sans électricité, il ne servirait à rien d’introduire une prise mâle dans une prise femelle, de même l’aiguille et le point d’acupuncture seraient sans effet sans la présence du Qi.
C’est alors que nous comprenons la nécessité, pour le praticien, de cultiver le Qi à travers une pratique quotidienne. Ainsi les Chinois ont élaborés, depuis l’aube de leur civilisation, divers exercices permettant de capter le Qi, de l’emmagasiner et, si l’on est thérapeute, de le transmettre à son patient. Aujourd’hui, ces exercices sont appelés communément Qi Gong (littéralement « travail du Qi ») bien qu’autrefois ils étaient connus sous une multitude de noms. Le Maître de Taiji Quan, Monsieur Gu Meisheng, explique ainsi la transformation qui se produit chez un pratiquant assidu des arts énergétiques:
« C’est en travaillant le cinabre qu’on arrive peu à peu à débloquer tous les méridiens. Si le qi n’est pas assez puissant, les méridiens sont difficiles à débloquer. D’abord les méridiens principaux, puis les méridiens secondaires, puis les 5 méridiens merveilleux puis les méridiens du et ren et enfin le méridien central. Le pratiquant ayant atteint un certain niveau aura un corps sillonné d’un réseau de canaux très ramifiés et dragués à la perfection. A ce moment-là, il n’y a plus besoin de respecter les trajets normaux du qi dans les méridiens. Dès que le yi (l’intention) va quelque part, tout le qi le suit. Donc le qi, dans sa circulation, ne suit pas forcément des chemins déterminés comme dans le corps d’un homme ordinaire. Il est tout simplement guidé par le yi. »
Après avoir pratiqué le Qi Gong pendant un certain temps, un acupuncteur pourra, alors qu’il s’apprête à insérer une aiguille à son patient, sentir l’Energie se manifester au bout de ses doigts, sensation semblable à un faible courant électrique. Cette sensation est également une aide pour le repérage exact des points d’acupuncture.
Il existe d’autres pratiques, comme celle appelée Fa Gong, qui consiste à projeter le Qi avec les mains.
Le Fa Gong
Selon la Médecine Traditionnelle Chinoise, de nombreux troubles physiques prennent racine sur un plan plus subtil, le corps énergétique. Le Fa Gong est une méthode qui consiste à transmettre l’Energie par les mains afin de réharmoniser la trame des méridiens. Jerry Alan Johnson l’explique très bien dans le volume 2 de son Traité de Qi Gong médical (éditions Chariot d’Or, 2013, p. 11) :
« L’absorption consciente de l’énergie prodiguée par la nature est une qualité essentielle en Qi Gong médical, et un prérequis indispensable pour acquérir la force intérieure nécessaire pour les praticiens avancés de l’alchimie interne. Dans la Chine antique, on croyait que l’individu devait d’abord dissoudre les frontières existant entre son univers intérieur et l’univers extérieur du Cosmos, afin que son corps puisse absorber efficacement l’énergie présente dans son environnement et l’utiliser pour régénérer le Qi du corps. »
Ne devient pas praticien de Fa Gong quiconque a reçu un don ou acheté une initiation mais celui qui pratique quotidiennement des techniques énergétiques comme le Taiji Quan ou le Yang Shen Gong (appelé communément Qi Gong) de façon à capter l’Energie et à l’emmagasiner pour pouvoir ensuite la transmettre à son patient. Comme l’explique le Docteur Jian Liujun dans son ouvrage Quintessence du Qi Gong (éditions Quimétao, 2005, p.81) :
« Le fondement théorique du Qi Gong tire son origine de la théorie médicale traditionnelle chinoise. En effet, dès l’origine, Qi Gong et Médecine Chinoise ont été étroitement liés et n’ont cessé de se compléter et de se développer.
L’exemple le plus frappant, qui témoigne de leur relation étroite, est l’existence du Qi Gong médical, qui de par son objectif même, fait partie intégrante de la Médecine Traditionnelle Chinoise. D’ailleurs il faut noter que dans le plus ancien ouvrage sur le sujet, le Huang Di Nei Jing, l’exposé des méthodes de Qi Gong et d’acupuncture occupait une place plus importante que celui des traitements médicaux qui, maintenant, constituent la partie majeure de la Médecine Traditionnelle Chinoise. »
A propos du Fa Gong, Jian Liujun apporte la précision suivante :
« Il faut savoir que la transmission d’énergie est un travail difficile, subtil et à long terme. » (Génération Tao, n° 48, p. 57)
En ce qui concerne ma pratique en cabinet, il m’arrive d’utiliser le Fa Gong par exemple lorsque je reçois une personne en état de choc émotionnel. Il y a quelque temps, un confrère est venu me consulter en grande détresse. Je privilégiai le Fa Gong à l’acupuncture. La séance ne dura qu’une petite vingtaine de minute car mon confrère ne pouvait pas supporter plus. Lorsque je le revis par la suite il me dit qu’il avait ressenti, durant cette séance, des sensations semblables à des décharges électriques qui se manifestaient de façon rythmée à l’intérieur du corps. Il se sentit beaucoup mieux ensuite et fut à même de gérer les épreuves qu’il affrontait pendant cette période de sa vie.
Les Maîtres chinois auprès desquels je me suis formé (Docteurs Zhang Kunlin et Liu Dong) utilisent le Fa Gong dans leurs soins et ont participés à des expérimentations d’émission de Qi dans les hôpitaux chinois.
« Entre la foi et l’incrédulité, un souffle.
Entre la certitude et le doute, un souffle.
Sois joyeux dans ce souffle présent où tu vis,
Car la Vie elle-même est dans ce souffle qui passe. »
Omar Khayyam